Après avoir dégommé les religions dans son Traité d'athéologie, Michel Onfray dézingue Sigmund Freud dans son dernier essai, Le Crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne. Déjà, dans la presse, la polémique est lancée. Elisabeth Roudinesco tient tribune dans le dernier numéro du Monde des livres du 16 Avril; Libération du week-end (17 et 18 Avril) fait la une sur le philosophe: Onfray tue le père Freud. Il n'y a que le Figaro-Magazine pour ignorer la question, préférant consacrer son numéro aux psys, avec en photo le très consensuel Marcel Rufo, psychiatre des ados et ami de Boris Cyrulnik à qui on doit le concept de "résilience".
Que reproche Onfray à Freud? En gros, d'être un mystificateur, d'avoir travesti sa mystification sous les oripeaux d'une pseudo-science, d'être narcissique et d'avoir fait souffrir son entourage, et surtout, comble du comble, d'avoir fabriqué une thérapeutique qui ne guérit personne, sauf les adeptes de la méthode Coué.
Ces reproches ne sont pas nouveaux. On peut même les scinder en trois familles bien distinctes: d'un côté, les tenants des "sciences dures" (neurobiologistes, en particulier, voir Jean-Pierre Changeux ou Debray-Ritzen) pour lesquels les affections de l'âme ne sont jamais que la manifestation d'un dérèglement chimique propre au cerveau; de l'autre, tout ceux qui, au nom d'une morale idéaliste et souvent teintée de religieux s'opposent à une vision de l'homme réduit à ses pulsions sexuelles; enfin, une famille plus floue, à cheval sur une rationalité biologisante, type Nouvelle Droite, et une vision de l'homme vitaliste inspirée de Nietzsche pour laquelle il n'y a pas d'Homme en soi, seulement des singularités.
C'est justement cette singularité freudienne que s'efforce de décrypter Onfray. En clair, Freud ne serait pas un philosophe, encore moins un thérapeute, mais un individu qui aurait passé son temps à conceptualiser sa propre biographie. Nietzsche, à propos des philosophes idéalistes, ne disait rien d'autre, d'où son refus de l'esprit de système et des montages conceptuels qui ne seraient que de pures fictions. Cette vision nietzschéenne de la philospohie, Onfray l'avait déjà mise en oeuvre dans l'un de ses premiers essais, Le Ventre des philosophes, où il revisite les grands philosophes occidentaux à la lueur de ce qu'ils mangent. Dis autrement, cela donne: dis-moi ce que tu bouffes, je te dirai ce que tu penses!
Evidemment, le nouvel opus d'Onfray va faire du bruit, beaucoup de bruit, surtout dans le petit monde des psychanalystes. Pourtant, il y a quarante ans, Deleuze et Guatary, avaient fait de même avec leur Anti-Oedipe, bréviaire de la génération 68 et éloge d'une sexualité débarrassée de toute morale répressive (dans laquelle, paradoxalement, les auteurs y mettaient Freud). Bien plus, il y a fort à parier que le débat va prendre un tour politique, comme semblent le suggérer les diatribes d'Elisabeth Roudinesco dans Le Monde. Pour elle, Onfray donne non seulement raison aux tenants de la neurobiologie "dure", mais à tous ceux ceux qui l'ont toujours voué aux gémonies: Léon Daudet, les catholiques ultras, les fascistes, les tenants de la Nouvelle Droite, les néo-païens, etc. Problème: Onfray est classé à gauche, très à gauche même; Marx et Proudhon sont "ses amis" (ce sont ses propres termes) et il tient une Université populaire à Caen.
En fait, et c'est peut-être là l'intérêt du débat, Onfray déplace les lignes. Mais au prix de quelle torsion idéologique! Avec lui, on peut être païen, nietzschéen et... croire en l'égalité entre les hommes! Mais peut-être n'est-il qu'un sensualiste, après tout, façon baron d'Holbach, ce qui arrangerait bien tout le monde, mais peut-être pas la philosophie telle qu'on l'enseigne dans les manuels...