mercredi 1 avril 2009

Dantec, écrivain high-tech


Maurice G. Dantec, Comme le fantôme d'un jazzman dans la station Mir en déroute, Albin Michel, 2009.

Ça commence comme un bon vieux polar avec un hold-up bien huilé, propre et rapide, puis dès la page 18, on entre dans le cyber-polar, un genre que Dantec affectionne depuis Les racines du mal. Notre couple de braqueurs - un ancien flic qui a liquidé pour de bon l’héritage de 68 et une fille de 21 ans, pas vraiment causeuse, plutôt cogneuse – sont affectés d’un neurovirus qui leur permet de connaître des états de conscience étranges qui les relient au cosmos. Recherchés pour le braquage, mais aussi et surtout parce qu’ils se sont échappés d’un centre de confinement où l’on soustrait des gens affectés du même virus qu’eux, ils prennent le large jusqu’à Abidjan, via l’Espagne et le Maroc.

Parallèlement à cette cavale, les télés du monde entier suivent la dérive d’une station russe autour de la terre, station habitée par un étrange fantôme : Albert Ayler, pape du free jazz dessoudé bêtement pour une histoire de came en 1970 et qui erre, tel un fantôme dans les limbes, dans cette station perdue en espérant trouver la Rédemption qui lui permettra de quitter les eaux de New York pour enfin rejoindre l’infini, c’est-à-dire l’autre nom de Dieu. Mais pour cela, Albert a besoin qu’on l’aide et qu’on l’aime. Karen, la braqueuse, grâce à ses pouvoirs extraordinaires (elle tue un homme d’un simple regard), va peut-être faire quelque chose pour lui…

Pour une fois, Dantec a fait plus court que d’habitude. Manque de souffle ou volonté de resserrer en 200 pages l’essentiel de sa pensée et de son univers ? Ici, le polar n’est qu’un prétexte pour nous parler d’autre chose : de la mort, du cosmos, de Dieu. Et aussi pour dresser le tableau inquiétant d’une société future (en fait, assez proche de la nôtre) où le libéralisme et le contrôle des individus semblent faire bon ménage (merci, Edvige !). Les allusions prolifèrent, surtout vers la fin de l’ouvrage : arbre des Sefirots, kabbale juive et tout le toutim ! comme le dit le narrateur.

En fait, Dantec ressemble à un auteur de polars qui aurait lu Raymond Abellio et qui essaierait de faire la synthèse entre les deux. Pour ma part, j’aime beaucoup cette façon de « casser les codes » et d’emmerder le lecteur avec des digressions cyber-philosophiques (et jazzistiques), mais le polardeux moyen, affecté du simple virus de la lecture, risque peut-être de lâcher le bouquin avant la fin. Je l’ai lu jusqu’au bout et en deux soirées, en remerciant Dantec d’avoir remis Albert Ayler au goût du jour, moi qui ne jurait que par le free à la fin des années soixante-dix.

1 commentaire:

  1. 2 albums très recommandables pour découvrir ou redécouvrir Albert Ayler :

    - Vibrations (1964, Freedom), avec Don Cherry, Gary Peacock, Sunny Murray. Mon disque préféré, un cri parfait, un rugissement dont l'écho m'évoque l'histoire et la spiritualité du peuple noir de l'esclavagisme à Barack Obama;

    - My Name Is Albert Ayler (1963 , Black Lion), avec un groupe danois, une mini-interview au début et un Summertime dantesque. Peut-être plus facile d'accès que les autres.

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